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L'engrais de mémé hors la loiPar Laure NOUALHAT
LIBE QUOTIDIEN : Vendredi 15 septembre 2006 - 06:00
Faut pas pousser l'agriculteur dans les orties... Une aberration législative, débusquée dans la loi d'orientation agricole entrée en vigueur en juillet 2006, empêche la diffusion de recettes et de savoirs, naturels et ancestraux, destinés à protéger les plantes par les plantes. Et les défenseurs de l'agriculture bio sont en colère. Avec cet article, vanter les mérites des pesticides naturels deviendrait hors la loi ! Haro donc sur le purin d'ortie engrais superstar, l'eau de cuisson des patates désherbante et la fougère repousse-chenille... Ces produits ne sont pas homologués par le législateur alors qu'ils sont plébiscités par les jardiniers, amateurs ou non, depuis des générations.
Menace. On aurait pu croire à une blague, si une perquisition n'avait enflammé les esprits le 31 août. Deux fonctionnaires de la direction régionale de l'agriculture et de la forêt (Draf) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont saisi les supports de formation d'Eric Petiot, un horticulteur de l'Ain qui dispense des stages sur la biologie végétale et les soins des arbres par les plantes. «Certaines préparations naturelles sont bien plus efficaces que des préparations chimiques, explique-t-il. On veut m'imposer un couloir de pensée, à savoir travailler avec des molécules de synthèse. Pas question de se laisser faire.»
Si tout jardinier du dimanche conserve le droit d'utiliser du purin d'ortie ou de la fougère pour son potager, personne, en revanche, n'a le droit de promouvoir ces pratiques, sous forme de livre, de formation ou de chronique... «Pour nous, c'est un lobbying de l'industrie phytosanitaire, qui a toujours voulu verrouiller le marché des pesticides, dénonce Bernard Bertrand, président de l'association des Amis de l'ortie et coauteur d'un ouvrage sur le sujet (1). Ces pratiques ancestrales permettent d'affranchir les gens de cette industrie, de les rendre indépendants, et la loi nous empêche de les diffuser. C'est incroyable !»
Le ministère de l'Agriculture est très gêné par le remue-ménage provoqué par la perquisition. Car la loi d'orientation agricole exprime, même timidement, une réelle volonté de développer l'agriculture biologique en France, qui, par définition, utilise des méthodes douces. Les agriculteurs bio, ou ceux qui sont en pleine reconversion, utilisent des produits non homologués à 95 ou 98 % ! «Les produits non homologués, comme les
recettes qui se transmettent de génération en génération, ne peuvent subir les mêmes exigences que des produits issus de molécules de synthèse», prévient Bernard Bertrand. L'homologation des produits phytosanitaires sera faite par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). «Il ne faut pas lire l'article 70 de façon paranoïaque, indique-t-on au ministère . Notre objectif est d'aller vers la promotionde méthodes traditionnelles et douces quand nous sommes certains qu'elles ne portent pas préjudice à l'utilisateur.» C'est là que ça devient risible : depuis quand l'ortie ou l'eau de cuisson des patates constituent-elles une menace pour l'utilisateur ?
Enquête. En revanche, l'impact sanitaire des pesticides intéresse de plus en plus de monde.D'après une récente étude de la Commission européenne, près de la moitié des fruits, légumes et céréales consommés en Europe contiennent des résidus de pesticides. Et la Mutualité sociale agricole
(MSA) a lancé en 2005 la première grande enquête épidémiologique française sur le lien suspecté entre pesticides et cancer. Chaque année, l'Institut français de l'environnement (Ifen) publie ses résultats sur la qualité des eaux : 96 % des eaux de surface surveillées contiennent des pesticides ! Si ces produits chimiques contaminent nos sols, nos assiettes et nos nappes phréatiques, il est légitime de connaître leurs effets sur la santé, et le cas échéant, d'avoir le droit de ne pas les utiliser.
Nouvelle intervention des multinationales contre les pratiques "bio"