LE COCHE ET LA MOUCHE
Ainsi, certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et partout importuns, devraient être chassés.
Cependant que le coche poursuit son chemin,
La mouche, à tous les nez fait monter la moutarde.
Le moine, en terme peu chrétiens,
Villipende cette bavarde.
La femme la pourchasse avec son éventail.
"Que ce parasite à bétail
Hante les prés, dit-elle, et non point nos voitures!"
Les chevaux renâclent, le cocher jure,
Bref, tout ce petit monde est aux quatre cents coups.
Tant d'injustice indigne la coupable
Qui juge raisonnable
De se soustraire à un courroux
Auquel elle ne comprend goutte.
Quoi? Elle a ranimé l'attelage fourbu,
Sauvé l'équipage en déroute,
Et c'est ainsi qu'on paie un labeur si ardu?
En maudissant l'ingratitude
De ses iniques débiteurs,
Notre mouche s'envole et prend de l'altitude.
Bientôt, atteignant des hauteurs
Auxquelles nul humain n'a accès, cet insecte
Survole champs et bois. Il observe, il inspecte
Le monde qui, soudain, lui paraît tout petit.
En bas, le coche semble un jouet minuscule.
(La distance, ainsi, tourne en ridicule
Nos griefs, réduisant à l'état de fourmis
Nos plus grands ennemis.)
La mouche alors se met à rire :
Le ciel lui appartient, l'espace aussi,
Que lui importent ces nains et leur ire?
A-t-elle besoin d'eux
Elle qui fend les cieux?
Nul ne lui est reconnaissant? La belle affaire!
On a foulé aux pieds sa bonne-volonté?
Peu lui chaut! Désormais, la mouche va mener
Une existence solitaire,
Et le monde entier peut bien s'écrouler
Elle n'en a que faire.
Nombre de gens ainsi sont refermés.
Sur eux-mêmes. C'est regrettable.
Mais, d'après vous, qui est le plus coupable
L'égoïste qui fuit ses semblables
Après avoir été injustement blessé,
Ou bien ceux qui l'ont rejeté?
Merci à Gudule pour cette "revisite"