Le manuel du Parfait Soldat
Par Paul Allard, paru dans Voilà le 28 mai 1937
Morceaux choisis :
«-Quel principe général doit guider toutes les actions du Parfait Soldat ?
-Toutes actions du parfait soldat doivent être guidées par ce principe réglementaire :La discipline fait la force principale des Armées.
-Pour appliquer ce principe, de quoi doit, avant tout, s’abstenir le Parfait Soldat ?
-De chercher à comprendre.
-Quand un ordre lui est donné, que doit faire le Parfait Soldat ?
-Attendre le contre-ordre.
-Quand le contre-ordre lui est donné ?
-Attendre le contre-ordre qui viendra annuler le contre-ordre des sous-ordres.
-si vous êtes caporal et si les hommes de corvées viennent vous dire : « on ne peut pas balayer la carrée : on n’a pas de balai ! » que lui répondez-vous ?
-M’en fous…Dé…brouillez-vous !
-si vous êtes adjudant et si le caporal fourrier vient vous dire : « Mon lieutenant, je ne peux pas remplir mes états de subsistances. Il n’y a plus d’imprimés » que lui répondez-vous ?
-M’en fous…Dé…brouillez-vous !
-Si vous êtes général et si le colonel commandant l’artillerie vient vous dire : « je ne peux pas attaquer, je n’ai pas de canons ! » que lui répondez-vous ?
-M’en fous…Dé…brouillez-vous !
-De tous ces faits, quelle conclusion tirez-vous ?
-J’en tire cette conclusion que si la Discipline fait la Force principale des Armées, C’est le système D qui fait la force principale des militaires.
-Pour quoi le Parfait Soldat se montre-t-il particulièrement méprisant ?
-Pour l’Artillerie, s’il est dans l’Infanterie ; pour la Cavalerie, s’il est dans l’Artillerie ; pour l’Infanterie, s’il est dans la Cavalerie ou dans l’Artillerie…
-Pour manifester votre esprit martial, que dites-vous à tous les instants de la vie militaire ?
-Faut que ça saute et que ça pète ! Garde à vôs !...En avant arche !...Debout, là d’dans !...ça va barder !...
-Et qu’ajoutez-vous aussitôt ?
-J’ajoute aussitôt quelques épithètes affectueuses : « Tas d’andouilles ! Bandes de vaches, de faignants et de tir au cul !... »
-N’avez-vous pas à votre disposition un autre mot plus énergique ?
-Oui, je dispose d’un mot bref de trois lettres, que j’emprunte à la gynécologie populaire pour l’appliquer à toutes les circonstances et à tous les degrés de la hiérarchie militaire.
-Le dimanche, quand il est de sortie, que fait le Parfait Soldat ?
-Il va se promener avec quatre autres Parfaits Soldats, tout au long de la rue de la Manutention, cracher longuement et collectivement dans la Moselle et rentrer au quartier pour la soupe.
-Quand il rentre au quartier, pour la soupe, que fait le Parfait Soldat ?
-Dès qu’il a franchi la porte de la chambrée, il doit prendre la position du Parfait Soldat en état d’ivresse, jeter de travers ses jambes l’une devant l’autre, s’efforcer par tous les moyens, de vomir du vin rouge sur le lit de son voisin et répéter à maintes reprises : « Je suis ti saoul ! Je suis ti saoul !... » En hoquetant et en prenant l’accent de Bach, de Fernandel ou de Noël-Noël.
-Quelles sont les plaisanteries rituelles que ne saurait éviter un Parfait soldat ?
-Le parapluie de l’escouade, la clef du champ de tir, la peau trop courte, ou les fines allusions aux exploits aériens du père Dupanloup, à l’infortune conjugale du général, aux qualités viriles de l’artilleur de Metz, et, surtout, au système pileux de la cantinière…